Maman à 22 ans, d’une adolescente de 16 ans
Comme toute jeune fille, j’ai souvent rêvé de mon mariage. De
ce fameux jour où je porterais une robe blanche, entourée par les personnes que
j’aime et surtout le regard fixé sur celui de mon cher et tendre. Je le voyais
également dans la vingtaine, toute la vie devant lui et moi à ses côtés pour
entreprendre cette grande nouvelle aventure. Notre rencontre aurait eu lieu à l’université, dans laquelle nous y serions pour étudier la médecine. Nous aurions des enfants, une famille. Une famille où il y aurait un papa, une maman, des enfants, une structure. On mangerait à des heures fixes, je préparerais le repas, j’aiderais à faire les devoirs, le soir toute la famille se réunirait ensemble et on aurait juste du plaisir à être les uns avec les autres. Mon mari serait mon meilleur ami, un bon pourvoyeur, responsable et mature. Je le supporterais en étant une femme aimante et nous travaillerons en équipe pour atteindre nos objectifs de vie.
Quel beau rêve!
Quel beau rêve!
Une enfance heureuse, ... avec des manques
Il faut comprendre que venant d’une famille monoparentale,
qui était légèrement dysfonctionnelle, j’ai toujours rêvé d’avoir une famille à
moi. Je suis née dans la deuxième ville d’importance du Cameroun, Douala.
Enfant, je n’ai manqué de rien, financièrement. Pour le reste, il a fallu que
j’apprenne à vivre avec l’absence de mon père, qui est décédé quand j’avais
deux ans, de ma mère, qui devait souvent travailler pour pouvoir à mes besoins.
Ma mère, compte tenu de ses occupations avait établi un cadre éducatif et
engagé des domestiques pour s’assurer que ce cadre soit respecté. Elle essayait
de faire en sorte que son absence ne nous prive pas d’une bonne éducation et
d’une certaine structure. Seulement, il y avait des domestiques qui faisaient
leur travail avec excellence et d’autres qui se contentaient du minimum.
Certains matins quand je n’avais pas d’école, j’étais un peu laissée à
moi-même. Le soir je décidais à quelle heure je voulais me coucher. Notre
vie ressemblait un peu au far-West, où tout le monde pouvait faire ce qu’il
voulait, du moins jusqu’à ce qu’il se fasse attraper par ma mère.
De plus ma mère me manquait tellement. Il m’arrivait de me
réveiller au milieu de la nuit et d’aller cogner à la porte de sa chambre,
juste pour pouvoir passer quelques heures furtives avec elle, avant que les
occupations du quotidien ne me la ravissent une fois encore. J’avais des frères
et des sœurs, mais cela ne remplaçait pas mes parents et de toute façon j’avais
l’impression que chacun vivait un peu dans son coin. Nous étions comme des
étrangers cohabitant les uns avec les autres, chacun dans son monde.
Mon idéal de famille et la réalité, douce et amère
On dit
souvent que l’amour a des raisons que la raison ne connaît pas. Dans mon cas
cette expression s’est avérée plus que juste. Je l’ai rencontré, l’amour de ma
vie, pas à l’université, il n’était pas comme que je m’imaginais
et en plus il venait avec un cadeau inattendu, une fille adolescente. Ceci vous dit déjà qu’il n’était pas dans la
vingtaine. Il était plus âgé que moi d’une dizaine d’années. L’amour a des
raisons que la raison ne connaît pas et j’étais bien amoureuse. Je l’étais
tellement que j’ai voulu officialiser notre union dès les premiers mois, bien
que je n’avais que 18 ans. Ma famille s’y est opposée, mais cela ne m’a pas
empêché de l’épouser quatre ans plus tard. Nous n’avons pas vécu ensemble tout
de suite parce que je devais retourner au Canada pour continuer mes études mais
il est venu me rejoindre avec sa fille, un an plus tard. La vraie vie
commençait.
La guerre froide
Je voulais être une mère qui démontrait qu’elle se souciait
de son enfant et toute cette structure familiale, ses valeurs qui me manquaient
tellement quand j’étais petite, j’ai voulu les lui inculquer. Cependant
j’oubliais une chose, que je n’étais pas sa mère et qu’en plus elle avait seize
ans et moi vingt-trois, nous avions une différence de cinq ans, ce qui faisait
de moi à la limite, une grande-sœur mais pas une mère. Au début, je crois
surtout qu’elle me tolérait parce qu’elle m’était reconnaissante de lui avoir
permis de quitter le Cameroun pour s’installer au Canada, mais quand il a fallu
établir certaines règles de fonctionnement, partager les tâches domestiques ou
simplement s’intéresser à ses études, une guerre ouverte s’est
déclenchée.
J’ai été très vite rattrapée par la réalité. Au début je me
suis dit que c’était une question d’ajustement; après tout je la comprenais un
peu. Elle avait toujours vécu seule avec son père et du jour au lendemain une
troisième personne venait s’ajouter à leur dynamique. Elle n’avait plus toute
l’attention du seul parent, en dehors de sa grand-mère, qui a toujours pris
soin d’elle; il aimait une autre femme. En plus l’adolescence n’est pas un âge
facile; au-delà de tous les changements que son corps subissait, elle devait
aussi s’adapter à un nouveau pays, une nouvelle réalité. Alors oui je la
comprenais et c’est pourquoi je lui ai laissé du temps. Mais cela n’a pas suffi
à réchauffer notre relation.
L’affrontement a commencé comme une guerre froide. Elle se
contentait d’ignorer les instructions que je lui donnais, les choses que je lui
demandais et après c’est devenu une guerre plus directe où elle n’hésitait pas
à me remettre à ma place et allait jusqu’à me défier. J’ai commencé à me sentir
comme une étrangère dans ma propre maison. Je ne pouvais pas l’arranger comme
je voulais, la maintenir propre parce que je devais constamment faire le ménage
après son passage dans les aires communes. Je me sentais comme une esclave, son
esclave; je préparais ses repas, m’assurais que ses besoins soient comblés,
nettoyais après elle, sans rien en retour; aucune reconnaissance, aucun amour,
que du dédain. Je n’avais pas le droit de donner mon avis sur la façon dont
elle devait recevoir son argent de poche ou des emplettes qui devaient être
faites pour elle, même si l’argent venait de son père et de moi. J’avais
souvent l’impression d’avoir une rivale en face de moi, une femme avec qui il
fallait que je me batte pour sauver mon couple, mon mariage. Avec du recul, je
comprends quelle a été mon erreur; j’ai voulu trop, trop vite. Une relation parentale
prend du temps pour se construire, mais j’étais tellement dans mon rêve que
j’ai sauté les étapes.
Et ce qui rendait cette situation plus pénible, était que je
devais y faire face sans le support de mon mari. Il était pris entre deux feux
et il se disait que prendre parti serait catastrophique. Alors il préférait ne
pas s’en mêler. La situation était tellement stressante que je suis convaincue
qu’elle a contribué aux deux fausses couches que j’ai faites. Je n’en pouvais
plus. J’allais à l’école, j’avais deux emplois et je devais de surcroit
m’occuper de toutes les tâches de la maison, en plus de devoir supporter
l’attitude de ma belle-fille. Quand j’y repense, je ne sais pas comment j’ai
fais pour passer au travers de cette épreuve sans perdre la tête. C’est sans
doute ma foi en Dieu qui m’y a aidé. La foi qu’un jour la situation pourrait
s’améliorer; qu’elle allait s’améliorer.
La lumière au bout du tunnel
Et elle a commencé à s’améliorer le jour où mon mari a
compris qu’il se devait d’intervenir s’il ne voulait pas me perdre. J’étais
prête à tout abandonner. Il a convoqué une réunion familiale et c’était la
première fois que chacun a pu s’exprimer librement. Cela n’a pas tout réglé,
mais c’était un début. Des attentes ont été énoncées et nous avons pris un
nouveau départ. J’aimerais vous dire qu’à partir de là, j’ai commencé à avoir
la vie de famille dont je rêvais mais ce ne fut pas le cas. Il a fallu que ma
fille, parce que oui aujourd’hui je l’appelle ma fille, vive une transformation
intérieure pour que nos relations s’harmonisent. Elle a commencé une quête spirituelle qui l’a
conduit à développer une relation avec Dieu. Peu à peu elle s’est adoucie, je
n’étais plus l’ennemie, peut-être pas encore sa mère, mais une personne qu’elle
respectait. Pour moi c’était déjà une victoire.
Maintenant que ma fille est mariée, elle comprend mieux
certaines difficultés qu’elle me faisait vivre et cela contribue à nous
rapprocher. Je suis toujours agréablement surprise quand elle m’appelle pour se
confier à moi ou tout simplement me demander les ingrédients d’une recette; je
me dis que l’accomplissement du rêve n’est pas loin. Il est vrai que nous
travaillons encore à développer cette relation; pourquoi s’arrêter au respect
quand on peut avoir l’amour? C’est ma motivation et je ne renoncerais jamais à
mon rêve de la vie de famille parfaite. Je suis de ces personnes qui visent
toujours la marche au dessus et je veux l’atteindre en ce qui concerne ma
famille.


Commentaires
Enregistrer un commentaire
Merci pour votre commentaire