Ma vie n’est pas une tragédie


Je me souviens de la date où j’ai décidé que quand on parlera de ma vie, on ne la qualifiera jamais de tragique. Cela fait trois mois que je n’ai pas eu mes règles. Je commence à être inquiète parce que je suis consciente de toutes les répercussions que cet évènement que je ne veux pas nommer pourrait avoir sur le reste de ma vie. La première chose c’est que s’il s’avérait que je sois vraiment enceinte, cela confirmerait toutes ces imprécations familiales que j’entends depuis toute petite. Ce pourrait-il que ma vie soit vraiment vouée à l’échec et à la honte comme cela m’a toujours été prédit? Assise dans la chambre que je partageais avec mes cousines, j’étais en proie à une grande tourmente et le soleil qui rentrait en flot par la fenêtre n’arrivait pas à réchauffer le froid glacial qui m’envahissait à chaque fois que je pensais à l’éventualité de ma grossesse. En me lisant vous vous demanderiez peut-être pourquoi être enceinte  serait une si grosse tragédie; après tout je ne serais pas la première adolescente à devoir faire face à un tel incident et surtout pas au Cameroun, ce pays d’Afrique Centrale qui a l’un des taux de natalité les plus élevés en Afrique. Certainement si l’on ne tient compte que du contexte national, ce n’était pas la fin du monde, mais quand on rajoute à ce contexte mon contexte familial, ma situation devenait dramatique. Je n’étais plus juste une adolescente camerounaise qui se retrouvait être enceinte par accident, mais j’étais une adolescente camerounaise vivant chez un membre de sa parenté qui la tolère à peine, sans ressources et sans soutien qui se retrouve être enceinte par accident. Je vous raconte.

Ma famille
Il faut comprendre que je suis née dans une famille un peu particulière selon la culture africaine. En effet ma famille était l’une des rares de la ville à être monoparentale parce que ma mère avait décidé que l’homme de sa vie n’était pas mon père. Ce n’était pas vraiment une surprise que mon père ne soit pas l’homme de sa vie, étant donné qu’à la base leur mariage avait été arrangé, ce qui a créé la surprise c’est qu’elle a décidé de rompre cet arrangement malgré l’interdit culturel. À mon époque une femme ne divorçait pas; encore moins pour aller se mettre en ménage avec un autre homme. Il fallait être soit très courageuse ou soit très insouciante pour le faire. Aujourd’hui je ne saurais vous dire ce qu’était ma mère, mais je peux vous dire qu’elle a assumé son choix et fondé une nouvelle famille avec cet homme. Ma mère était heureuse mais comme on dit le bonheur des uns fait le malheur des autres, parce que bien évidemment son départ a laissé mon père complètement désemparé et pas vraiment parce qu’il avait le cœur brisé mais surtout parce qu’elle le laissait avec six enfants. Autant mieux vous le dire tout de suite, les hommes africains à mon temps ne savaient absolument pas comment prendre soin des enfants. C’est pourquoi nous avons été éparpillés chez les sœurs de mon père. Je vous ai parlé de ma famille, maintenant je vais vous parler de ma famille d’accueil.

Ma famille d’accueil
La tante chez qui je vivais s’appelait « Mamie Trie »; c’est assez drôle comme nom, mais ma tante n’était pas une personne drôle. Je ne sais si je peux dire que j’ai été maltraitée mais je sais que je ne mangeais pas à ma faim, que j’étais la personne qui faisait presque toutes les tâches ménagères à la maison et que j’étais souvent battue. Mais comme on me répétait assez souvent que j’avais de la chance d’avoir trouvé une personne qui avait bien voulu me recueillir, malgré la honte que le départ de ma mère avait entrainé, je n’avais pas le droit de me plaindre. De toute façon j’avais choisi de ne pas le faire; ce sont les victimes qui se plaignent et moi j’avais décidé que je n’en étais pas une. J’ai pensé à la meilleure façon d’améliorer mon sort et mon choix peut ne pas faire l’unanimité, mais j’étais convaincue de ne pas trop avoir le choix.

Mon plan  de secours
Je ne sais pas si vous avez deviné quelle a été ma stratégie, mais je peux vous dire que c’est cette stratégie qui m’a conduit à me retrouver assise dans ma chambre en mars 1975 me demandant comment j’allais faire pour prendre soin de cet enfant qui croissait dans ma ventre alors que j’arrivais à peine à subvenir à mes propres besoins. Oui j’avais décidé de trouver l'homme de ma vie, qui saurait prendre soin de moi et dont je serais la fière épouse. Seulement ce que je n’avais pas compris c’est que cet homme n’avait jamais eu l’intention de prendre soin de moi; il voulait bien profiter de mes atouts, mais pas plus. C’est ainsi que je me suis retrouvé à partir d’une relation à une autre, jusqu’à ce que je me retrouve dans cet état, toute seule, abandonnée. J’avais une décision à prendre et je l’ai fais. Je ne sais pas si c’était la bonne, mais je l’ai fais; j’ai décidé d’avorter cet enfant; de tuer la chair de ma chair. Et après cela j’ai juré de ne plus jamais me retrouvé dans cette situation; plus jamais.

Une nouvelle vie
La première étape de cette nouvelle vie a été de terminer mes études. Compte tenu des ressources financières limitées que je possédais, je ne pouvais pas faire de longues études; par conséquent j’ai fais une formation professionnelle qui me permettait au moins d’avoir un diplôme en secrétariat. Muni de ce symbole de fierté, le futur m’apparaissait rempli d’espoir. C’est peut-être pourquoi quand j’ai rencontré Charles, je me suis dit qu’il m’arrivait tellement de bonnes choses qu’il ne pouvait être qu’un ange envoyé du ciel. Nous avons conçu un enfant et avons décidé de nous marier. Mon père était contre; je ne sais pour quelle raison, mais aujourd’hui je comprends que j’aurais du suivre son conseil. Parce qu’après la lune de miel s’en est suivi des années de violence qui m’ont couté mon œil droit.  Mais je vous l’ai dit, je ne suis pas une victime. Après la perte de mon œil j’ai décidé qu’assez était assez. Peut-être est-ce l’image de ma mère qui m’a donné la force, mais j’ai divorcé bien que cela ne se faisait pas. J’avais deux enfants, une fois encore sans ressources et sans soutien, mais je refusais de subir. Et comme si le fait d’être violent n’était pas suffisant, il a fallu que cet homme me prenne également mes enfants. Finalement ma nouvelle vie s’avérait être plus grise que rose. Je me suis dit que le gris n’était pas une si mauvaise couleur; après tout c’était un mélange de blanc et de noir et si je concentrais mon attention sur le côté blanc, sur l’espoir, je m’en sortirais. C’est ce que j’ai fais.

Mes débuts en tant qu’entrepreneur
Une amie de la famille a accepté de m’héberger et avec le peu d’argent que j’avais j’ai commencé à vendre des beignets à même la rue. Je me levais chaque matin à l’aurore, je préparais ma pâte et je m’installais juste devant la maison et je vendais mes beignets. C’est ainsi que j’ai commencé à épargner. Un jour j’ai eu assez d’argent pour entreprendre l’une des aventures les plus folles de ma vie : récupérer mes enfants. Je n’allais pas me battre en cours pour avoir leur garde, parce que c’était une cause perdue d’avance. La loi donnait automatiquement la garde des enfants au père et même si je démontrais qu’il y avait des circonstances atténuantes qui auraient pu être en ma faveur, le père de mes enfants s’était remarié et sa nouvelle femme battait régulièrement mes enfants et les affamait, mon ex-mari était un homme politique assez important et moi une pauvre vendeuse de beignets. Non je n’allais pas récupérer mes enfants dans un tribunal, mais en les kidnappant. Rien de moins.
J’ai commencé par prendre le plus jeune et je suis allée le cacher chez ma mère. Récupérer l’aîné a été plus compliqué. Après la disparition de son cadet, il a commencé à être étroitement surveillé; mais cela n’allait pas m’empêcher d’être réuni avec mon fils. J’ai réussi à les avoir tous les deux et nous avons loué un petit appartement. Leur père n’a jamais entrepris des démarches pour les retrouver, ce qui m’arrangeait.

L’ascension
Après cela j’avais le vent dans les voiles. J’ai lancé une entreprise de nettoyage. Mes premiers clients on été les amis de mon père. Mon entreprise s’est agrandie; j’ai commencé à avoir des contrats gouvernementaux. Et après cela ça ne s’est jamais arrêté. Il est vrai que sur le plan sentimental j’étais toujours déçue, mais cela ne m’a jamais empêché de croire en l’amour et de garder le cœur ouvert. De toutes ces tentatives amoureuses j’ai eu trois autres enfants, des filles. J’ai travaillé avec hardiesse et permit à mes enfants de poursuivre leurs études à l’étranger. J’ai fais de mon mieux pour leur offrir une vie confortable. Et quand je les regarde aujourd’hui, je suis contente d’avoir défini moi-même ce que devait être ma vie et de ne pas avoir les circonstances le faire pour moi.

Cette histoire est celle de ma mère qui nous a quitté le 22 décembre 2006. Je suis l’une de ses filles dont la naissance est le fruit d’une relation amoureuse décevante, mais qui grâce à la force et à la persévérance d’une mère qui ne se laissait pas facilement abattre par les aléas de la vie, peut aujourd’hui utiliser cet espace littéraire pour lui rendre hommage.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

UNE ENFANT DE L’OMBRE

JE SUIS CE QUE JE PENSE ET JE PENSE CE QUE JE SUIS

Emergence, "je respire enfin"!