Mécanismes de défense


La douleur peut créer de magnifiques choses, elle peut faire exister des oeuvres qui laisseraient pantois les plus grands artistes de ce monde. Je suis convaincue que Picasso n'aurait pu peindre un paysage aussi beau que celui que j'avais créé dans ma tête pour échapper à ce monde si terrifiant et obscur pour la petite fille que j'étais.

La première fois que j'ai du créer ce monde imaginaire dans lequel je me réfugiais était durant les agressions. Quand notre corps subit tant de douleur, notre âme essaie de se protéger de toutes les façons possibles. C'est comme si on se dissocie de notre enveloppe corporelle, on l'abandonne à la merci de ces prédateurs qui lui font subir ces horribles choses. J'avais pris l'habitude de vivre dans ma tête, je rentrais rarement en contact avec le monde extérieur. Je pouvais rester assise durant des heures, ne pas parler, ne pas bouger, juste rêver. Même à l'école, je me contentais d'être présente de corps et de faire acte de présence de temps à autre avec mon esprit. Et plus je me réfugiais dans ce monde imaginaire, moins j'étais consciente de ce qui se passait autour de moi. J'étais si détachée que je passais souvent pour une enfant muette ou autiste auprès des personnes qui ne me connaissaient pas. Mon corps était devenu une coquille vide, une sorte de robot qui obéissait à des automatismes mais qui ne ressentait rien, ne désirait rien.

Le deuxième mécanisme de défense était d'essayer de passer la plus inaperçue possible. Quand je me déplaçais j'essayais de ne faire aucun bruit, mais ce qui était le plus drôle, c'est que plus j'essayais, plus j'étais maladroite. Et j'attirais involontairement l'attention sur moi. À chaque fois que je faisais tomber quelque chose, je devenais complètement immobile comme si le simple fait d'arrêter de respirer pouvait me rendre invisible. C'est incroyable la créativité que notre esprit peut développer quand il s'agit de fuir une situation.

Le troisième mécanisme est sans doute celui qui a eu le plus de répercussions sur ma vie, celui dont j'essaie encore de me débarrasser. Un détachement émotionnel complet; je n'avais aucun lien émotionnel avec personne. Même ma mère, je me suis longtemps posé la question de ce que je ressentirais si elle mourrait. J'avais l'impression que la meilleure protection possible était de ne rien attendre de personne, aucune protection, aucune défense, aucun amour. Au décès de ma mère, je me suis rendue compte que je l'aimais, même si cet amour était enfoui sous une tonne de peur. C'est triste de se rendre compte de l'amour qu'on a pour une personne juste après son décès. Mais c'est le prix à payer quand on a passé toute sa vie à se protéger, à se cacher.

Et ces mécanismes de défense ont des effets pervers insidieux. J'ai longtemps souffert de dépendance affective et d'un sentiment de rejet constant. Il faut savoir que même si on essaie de se protéger de toute relation humaine, on en rêve. Dieu nous a créé pour être sociable, pour être connecté les uns avec les autres, alors il est naturel que notre âme soupire après ces contacts humains. Seulement quand on laisse la peur prendre le dessus, on se ferme en attendant de trouver une personne qui saurait nous mettre assez en confiance pour que la connexion se fasse. Cependant on peut tellement attendre de cette personne qu’on finit par devenir dépendant affectif. On a tellement besoin d’avoir ce contact humain qu’on s’accroche à cette personne comme une sangsue. Dès fois pour éviter de souffrir, on rejette les autres avant qu’ils ne nous rejettent. On appréhende, on imagine le pire et on vit en retrait. Le pire c’est qu’on a souvent l’impression que ce sont les autres qui nous rejettent.

Le rejet, le déni, le refoulement, des outils pour éviter de souffrir, c'est ce que je me disais quand je réfugiais derrière ces barrières. Je ne me rendais pas compte qu'au fond tout cela m'empêchait de vivre, de réellement vivre. Pendant longtemps j'ai essayé de minimiser ce qui était arrivé, de l'oublier, de l'enterrer. Toutefois ce répit n'aura été que de courte durée, parce que quand cela m'est revenu c'était comme un ouragan renversant tout sur son passage. C'était comme si je me retrouvais des années en arrière, vulnérable, fragile, à la merci de personnes plus fortes que moi. Et la douleur était telle que j'ai encore refoulé, encore et toujours, jusqu'à ce que je comprenne que la seule façon de la laisser définitivement derrière moi, c'était de la traverser.

Pour faire tomber de tels barrages, ça prend une puissance sans pareille et c’est exactement ce que Jésus est pour moi. Par son amour, sa patience, sa capacité de restauration, il me conduit pas à pas vers le chemin de la guérison. Il est le seul qui a été capable de prendre la personne brisée que j’étais et de recoller les morceaux de ma vie, un à la fois.







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